vendredi 3 décembre 2010

Requiem pour un toubib - deuxième extrait

Chères lectrices, chers lecteurs,

L'éclairage Riffle Noir concernant Éric Lefebvre, son univers littéraire et ses polars continue avec un second extrait de Requiem pour un toubib...

Bonne lecture,
Riffle Noir.




Requiem pour un toubib
Chapitre 1 : Retour au cimetière

 
Stanislas Kabbalevski ne pouvait détacher son regard du tag qui maculait le monument funéraire. GO TO HELL ! Avant de sécher, le rouge vif des lettres avait coulé le long de la pierre et agressait le granit sous lequel reposait depuis deux jours le docteur Gilbert Longuépée, son ami d’enfance. Le ou les profanateurs ne s’étaient pas contentés d’un graffiti vengeur mais s’étaient consciencieusement acharnés à briser vases et plaques mortuaires, à éparpiller gerbes et couronnes et à piétiner les nombreux bouquets de fleurs. Une charpie multicolore que le triste vent de novembre achevait de disperser dans les allées de schiste rouge, détrempées par les pluies des jours précédents. C'était une vieille dame, une habituée, qui le matin même avait découvert le carnage et donné l’alerte. Gilbert Longuépée partageait désormais le caveau familial avec sa mère et avec Clovis, son père, victime comme Mietec Kabbalevski et d’autres camarades, de la fameuse explosion du sept juillet 1977 qui avait ravagé le complexe de carbochimie. Sous les bavures de rouge, on distinguait à peine les dates de naissance et de mort des parents et du fils. Pour chacun, deux nombres, une vie réduite à sa plus simple expression. Tout juste sorti de l’école de Saint-Cyr-au-Mont-d’or, qui forme les commissaires, Kabbalevski venait d’être nommé chef de la sûreté au commissariat de Lens. En tant que directeur d’enquête, c’était sa première affaire d’importance et il s’agissait du meurtre de son ami d’enfance ! Et pour couronner le tout, son chef direct, le commissaire divisionnaire Marchand, avait décidé après plusieurs alertes d’offrir à son cœur des coronaires toutes neuves et serait indisponible pour un bon bout de temps. Quelques heures plus tôt, kabbalevski s’était réveillé difficilement avec un mal de tête tenace et un nez transformé en une fontaine qui ne semblait pas vouloir se tarir. Putain de mois de novembre ! Il se moucha bruyamment. Ce bruit incongru effraya une volée de moineaux qui cherchaient leur subsistance parmi les déchets floraux. Il se moucha de nouveau, troublant malgré lui le silence du lieu, pourtant habitué aux épanchements de toutes sortes. Monique, la veuve de Gilbert lui avait téléphoné en pleurs vers dix heures, le matin même. Après le meurtre de son mari et le cambriolage de son domicile le surlendemain, c’était une femme durement éprouvée qui l’avait accueilli vingt minutes plus tard à son domicile. Elle essayait de faire bonne figure, mais une profonde détresse affleurait sous ses traits fatigués. Elle s’était assise à une extrémité du divan laissant une large place à ses côtés mais Kabbalevski avait préféré s’asseoir en face d’elle, dans un vénérable fauteuil Voltaire. Au pied de l’immense cheminée où crépitaient deux grosses bûches, lové sur un tapis, le chat de la maison, un abyssin superbe, avait à peine relevé la tête lorsqu’il les avait vus investir le salon. La pièce portait encore les traces de la récente effraction : de chaque côté de la cheminée, de vastes rayonnages qui accueillaient habituellement livres rares et trouvailles ethniques glanées un peu partout dans le monde étaient presque vides. Sur le parquet en chêne, profitant du moindre espace libre, volumes et bibelots s’entassaient un peu partout. Le regard du commissaire s’attarda un instant sur le cuir et l’or des éditions originales et caressa longuement le bois des fétiches, masques et statuettes d’une envoûtante beauté. Sur le mur opposé, des photos de son ami, prises au hasard des voyages et des missions, offraient un jeu de miroir saisissant avec les trésors de la bibliothèque. Il y avait Gilbert en gandoura, en blouse blanche, en battle-dress, Gilbert dans le désert, dans les montagnes, dans des villes dévastées, Gilbert en pirogue, à dos de chameau, en 4X4, Gilbert parmi des Noirs, des Arabes, des Asiatiques, Gilbert, Gilbert, Gilbert partout ! Les cadres avaient été systématiquement décrochés par le ou les cambrioleurs. Certains étaient brisés, d’autres empilés pêle-mêle, d’autres étaient alignés le long de la plinthe. Sur le mur, désespérément vide, on devinait encore leurs emplacements. Après le meurtre de son mari, Monique s’était réfugiée chez son frère et sa maison inoccupée avait été visitée de fond en comble. Le malheur des uns… Les yeux rougis par le chagrin, entre deux sanglots, elle serrait convulsivement son mouchoir. Il allait les retrouver hein, il allait venger son ami ! Il lui avait fait remarquer qu’il n’était pas question de vengeance mais de justice et qu’il n’était pas payé pour régler des comptes personnels mais bien sûr, il lui avait promis de faire toute la lumière non seulement sur la mort de Gilbert et sur le cambriolage mais aussi sur cette sale affaire de profanation. Toute la lumière, une expression redoutable ! Car cette inscription vengeresse l’obligeait à jeter un regard nouveau sur ce qui le préoccupait depuis huit jours, le meurtre de son ami retrouvé mort, le crâne fracassé dans son cabinet médical, un pied de biche ensanglanté à ses côtés. Tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur, mallette, portefeuille, ordinateurs portables, téléphone et même les quelques bibelots qui décoraient le bureau avaient été volés. Alors un crime crapuleux, un cambriolage qui tourne mal. Peut-être…. « VA EN ENFER ! » et avec un point d’exclamation encore ! Trois mots destinés à faire mal. Qui pouvait en vouloir autant à Gilbert ?

À suivre prochainement: un texte en haïkus de l'auteur intitulé Morts violentes...

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