samedi 11 décembre 2010

l'Éclipse d'une nuit d'hiver se lève - Extrait!


Chères lectrices, chers lecteurs,

Ces jours-ci trois extraits vont vous entraîner dans la seconde enquête du couple Drassir/Jasmina. Une histoire à double détente orchestrée par Richard Albisser. 

Ainsi commence donc, l'éclipse d'une nuit d'hiver...

Riffle noir

Eclipse d'une nuit d'hiver
Extrait 1


Le béton exhalait à cet endroit une forte odeur d’alcool sucré mâtiné de gentiane. José n’y était pas allé de main morte avec le Fen… C’était toujours ainsi que Bruno désignait le Fenwick ; il était adepte de cette mode qui privilégie l’économie du langage. Il ajusta sa cravate rouge qui pendouillait sur une chemise blanche. Un frisson lui parcourut l’échine. Le lieu était humide et sombre. On chauffait en hors gel, a minima, et les quelques néons n’étaient allumés que lorsque les gars bossaient. Il ne s’agissait pas d’éclairer de la marchandise pour rien et on devinait qu’ici, derrière les racks de palettes rangées au cordeau, les watts étaient strictement comptés.

L’allée L étirait son long ruban vide. Il y promena un regard songeur qu’il savait rendre dur quand il se tenait prêt à heurter l’œil biaiseux du subalterne. L comme liquides, rayon dont il était le chef et qui déclinait toute une gamme de produits de soif. Nuances colorées des sirops et des jus en prolongement de la plate litanie des marques d’eau, reflets ambrés des bières et des cidres, appellations raffinées des terroirs français, consonances touffues de la cave à whisky, cocktails créatifs et multicolores qui faisaient désormais office de boissons apéritives. Il aurait pu fulminer contre José en songeant aux bretelles qu’il allait lui remonter mais il se rasséréna : délégation sans flicage n’est que ruine de l’homme. Eric le tarabustait pour faire du chiffre, serrer les frais de personnel, plumer les fournisseurs et mettre la pression sur les équipes. Bruno qui collectionnait les Césars du management directif se redressa comme le grognard de l’Empire ému par la pose d’une breloque sur sa poitrine maintes fois mitraillée. Le directeur Dominique Saint-Maur l’avait du reste à la bonne. Il faut dire qu’il avait l’appui des chalands belges. Certains commandaient même quelques bouteilles de Château d’Yquem jalousement gardées au coffre car la valeur interdisait le libre-service. Il songeait à ces gens de Tournai qui réglaient rubis sur l’ongle, en espèces trébuchantes, des sommes astronomiques. Il les accompagnait toujours personnellement jusqu’à la caisse comme un caviste de centre-ville quand il soigne jusqu’à l’obséquiosité ses meilleurs clients. Pas comme ces bandes de désœuvrés qui débarquaient des Trois-ponts et qu’on reconnaissait pour être doublement fauchés et faucheurs… Les types de la sécurité ne les serraient jamais de trop près et dans la salle des caméras, on manquait souvent de vigilance. Bruno Valet se croyait investi d’une mission supérieure qui allait bien au-delà d’un contrat de travail. Les magasins Soulier, c’était pour ainsi dire sa vie. Il achetait groupe, mangeait groupe, respirait groupe. Bruno Valet, 27 ans, chef de rayon liquides pour le compte de Soulier et Cie, heureux et assouvi, manager de quinze bonshommes, gestionnaire de quinze millions et la largeur d’esprit réduite à un slogan de quinzaine commerciale, traversait l’allée L quand brusquement un rail complet sembla rompre avec un bruit d’essieu de locomotive. Trois tonnes de marchandises chues de trois mètres contre un seul homme, future poussière parmi les poussières, ce type de concurrence serait toujours déloyal.

Deux autres extraits, très bientôt...

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