dimanche 12 septembre 2010

Fou contre tour ? Des extraits !


Bonjour à toutes et tous,
 
Bientôt le 15 septembre! Bientôt la sortie officielle d’Éclipse d’une nuit d’hiver!

En attendant de retrouver Drassir et Jasmina (sans oublier Rokovski, Steenmann and co), voici de quoi patienter avec trois extraits de Fou contre tour! Le premier vous est livré aujourd’hui, les autres suivront demain et après-demain afin de vous emmener, en noirceur, jusqu'à l’Éclipse d’une nuit d’hiver



Extrait 1

Après les coups de fil d’usage, l’attente dans la voiture stationnée à quelques mètres leur parut durer une éternité. Rokovski s’en alla fumer à l’extérieur une petite qu’il sortit d’un étui neuf. Le geste au loin rappela à Drassir ce ravissement propre à celui qui a goûté un jour et aimé profondément le tabac de ne devoir jamais entamer un nouveau paquet à heure fixe. La petite languette de plastique repérée par son liseré rouge et translucide qui décachette la gaine d’origine en le contournant comme la décollation d’un œuf coque, le retrait de la feuille d’aluminium pliable à souhait qui libère les essences du tabac et donne à voir rangés comme des baïonnettes à la parade les filtres vierges et le corps amidonné des tiges : la magie est à cet instant de défloration mécanique contre laquelle s’insurgent les adeptes de la roulée qui arguent d’autres satisfactions plus lentes, plus artisanales, moins sophistiquées. Drassir avait emporté son pari et mis définitivement au rancart son briquet. Un shérif qui rend son colt, avait-il songé alors qu’il faisait rouler l’objet inventé par le baron Bic dans le tiroir vide de son bureau.

Rokovski s’en était maintenant revenu et avait investi la banquette arrière en expirant un souffle chargé de nicotine. Les hypothèses entre deux plaisanteries grasses allaient crescendo. Le lieutenant Drassir et ses deux hommes – la hiérarchie dans la Police, c’est doublement sacré ! – s’en donnaient à qui mieux mieux pour savoir à quoi pouvait rimer ce mél à vomir et cette fanfaronnade vis-à-vis de la maréchaussée. À moins que ce fût personnellement Drassir à titre privé qui était ciblé indépendamment de son statut de flic. Allez savoir, il y a tellement de tordus. Mais là il ne fallait pas toucher un seul cheveu de leur lieutenant, ah que non ! C’était une litanie de bazar dans l’habitacle qui de surcroît commençait à sentir le fauve quand le serrurier du boulevard Clémenceau avec un utilitaire logoté Ch’ti clefs daigna se pointer à l’adresse de Lucie Colocase. Des rideaux qui s’abaissaient et se levaient laissaient deviner un voisinage aux heures ouvrées soucieux de surveillance et sensible à la propriété. Les uniformes produisaient, semblait-il, un effet inverse. La curiosité ne manquerait pas de se graduer selon une escalade prévisible si l’image entrevue collait à une découverte réelle. Le serrurier vêtu d’un tee-shirt avec un tigre posé d’après un transfert maladroit, un jeans noir avec le plantureux trousseau suspendu à la ceinture comme un régime de bananes, déclosa la porte en un coup de cuiller à pot. Drassir donnait congé au Chti’ clefs après avoir dûment signé le bon d’engagement type exigé par la procédure, le bleu pour le service, le blanc pour le prestataire et le rose pour les comptables, lorsque Rokovski et Brichot manifestèrent bruyamment leur trouvaille macabre. En vingt ans de carrière, des macchabées, ils en avaient vu mais ici ça dépassait l’entendement. La réalité pulvérisait la fiction. Il fallait maintenant prévenir le légiste et la scientifique à Lille. L’affaire n’avait rien à voir avec une facétie de potache. C’était un sacré timbré qui avait fait ça, pour sûr.

Le corps supplicié de la voyante quasiment mis à nu, étendu dans une mare de sang, le bas resté caché par une gaine de couleur blanche, ressemblait à une épreuve aboutie de Francis Bacon hors ce détail textile déduit d’une espèce de pudeur énigmatique. Ce n’était pas la poigne d’un boucher qui aurait désorganisé les chairs à coups de tranchoir intempestifs à l’instar de ces équarrissages pratiqués dans les anciens abattoirs. On avait cherché à dénuder la victime de son épiderme avec une rare minutie comme si le maniaque qui avait opéré s’était assujetti à un inventaire strict de ce qui se situait dessous. L’épluchage d’un fruit mûr. Il en restait une multitude de traces de scarification. On devinait toutefois à l’endroit du thorax une entaille suffisamment profonde pour avoir atteint le cœur et à partir de quoi l’instrument n’avait pas disséqué ou dépecé au sens que Bichat aurait donné à ce terme mais s’était employé à décoller au maximum la peau telle une tapisserie sur un mur qui échancre à maints instants le plâtre ou un film pelliculé de la couverture d’un livre qui arrache par endroits le couché à l’épaisseur du carton. Les bras avaient été disposés à la façon des gisants avec les mains croisées sur les clavicules de sorte qu’ils dissimulaient une partie de la poitrine. Au niveau du crâne, la victime avait été scalpée et seul le visage avait conservé un masque de peau intact. Quoi qu’il en soit, Lucie Colocase n’était plus.

À demain pour le second extrait…





Riffle Noir

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