dimanche 9 février 2014

On l'appelait Mamie - Extrait !


À Obrechies, au coeur de l’Avesnois nordiste, Mathilde Baillé, 82 ans, avait appris à lire et à écrire à des générations de petits campagnards. Alors quand on la retrouve baignant dans une mare de sang…




 
Obrechies, tout petit village de l’Avesnois, situé à environ cinq kilomètres de Maubeuge, existe réellement. Vous en avez d’ailleurs une photo du centre-village, sur la première de couverture. Les poubelles en moins.

C’est là que se déroule principalement l’action de On l’appelaitmamie le roman policier de Pierre Zylawski!

Nous vous en révélons, aujourd'hui, un extrait !



On l'appelait Mamie
Extrait 1


Chapitre 1


Quand le capitaine Léo Grégoire tourna le dos à la scène de crime et sortit de la petite maison de Mathilde Baillé, le lieutenant Maeva Christopher sur ses talons, il s’assura d’un simple coup d’œil que le chef et le brigadier tenaient les curieux bien à distance au-delà du ruban jaune à ne pas franchir, et il chercha un coin à l’écart où il allait tenter de réintégrer le monde des humains. Parce qu’il en avait sacrément besoin, et rapidement, s’il ne voulait pas se donner en spectacle en vomissant tripes et boyaux avec, au fond de la gorge, un dégoût comme il n’en avait pas éprouvé depuis bien longtemps.
Et cette douleur dans la poitrine, cette peine, dont il lui semblait que, encore un peu, et elle allait réussir à lui fendre le cœur, alors qu’il se croyait bien à l’abri derrière ses presque quinze années d’expérience. Mais non, pas du tout, jamais il ne s’habituerait à côtoyer, ne serait-ce qu’une petite heure, le monde des bêtes féroces verticales et à deux pattes. Bien plus féroces que toutes ces bestioles de tous les calibres qu’il croiserait encore sous toutes les latitudes, y compris dans ses rêves les plus cinglés !
- Non, attends Maeva, juste une minute. J’ai besoin de respirer un bon coup pour me nettoyer l’intérieur.
- T’as raison. Moi aussi, et je sens que, cette fois, ça ne va pas l’faire.
Ça ne l’a pas fait, puisque dans les secondes qui suivirent le lieutenant Maeva Christopher plongea carrément la tête dans la haie mitoyenne et elle vomit tout ce qu’elle put, à s’en éclater la vésicule biliaire ! Quand finalement les spasmes se calmèrent, elle prit encore le temps de s’essuyer les yeux et de respirer profondément deux ou trois fois avant de venir chercher un peu de réconfort auprès de son capitaine :
- Excuse-moi, Léo. Je ne vais quand même pas t’inventer un bobard quelconque, comme quoi j’aurais mal digéré la flamiche au Maroilles, pour laisser croire que j’ai tenu le coup. Non, non, là ça dépasse largement la dose d’horreur que je suis capable d’encaisser. Non, non, capitaine, tant que le corps est encore dans la cuisine, moi je n’entre plus dans cette maison.
- T’inquiète Maeva, on a été assez secoués tous les deux pour qu’on essaie de s’éviter la deuxième couche. Pour aujourd’hui on a assez donné, on a assez encaissé, et on va sagement attendre que le toubib vienne nous mettre au parfum. Et une fois le corps enlevé j’irai juste demander ce que la Scientifique en pense. On ne sait jamais.
- C’est gentil, Léo, mais dans dix minutes je serai aux taquets.
- Prends ton temps, récupère, parce qu’on va tous employer ici toute notre énergie, et jusqu’à la dernière goutte, la dernière cartouche. Ça… je te le garantis.
Depuis quatre ans qu’elle enquêtait à ses côtés et sous ses ordres, le lieutenant connaissait pratiquement toutes les facettes de la personnalité et du caractère de son chef direct, et dans l’instant elle sentit, dans la voix et la détermination, quelque chose d’inhabituel.
Elle avait bien compris. Quand il était dans cet état, jamais personne n’avait encore pu jouer au plus malin pour modifier le cours de son enquête. Personne. Jamais. Et manifestement ça n’était pas encore cette fois que les principes allaient changer.
Malheureusement le mal était fait.
Quelqu’un devrait payer. Très cher.
Pendant quelques minutes, l’un et l’autre tournèrent le dos aux villageois tenus à l’écart par le brigadier-chef et son adjoint, derrière la maisonnette, côté potager et campagne. Le bocage de l’Avesnois, avec ses prairies gorgées d’eau par les dernières pluies et toutes entourées de haies vives taillées à un mètre cinquante, un ciel lourd de nuages encore menaçants bousculés par des bourrasques plus que fraîches… On était bien dans le Nord, à moins de quinze jours de Noël, et on n’avait même pas à se plaindre de cette météo souvent bien plus rigoureuse.
On ferait avec. On avait l’habitude.
Juste à côté, la seule habitation du secteur au bord de ce Chemin du cimetière, goudronné mais fort étroit et presque entièrement recouvert d’une pellicule de boue ravinée par les pluies. Une maison basse, sans étage, très ancienne et dans un état de délabrement bien avancé : là aussi il faudrait aller jeter un coup d’œil.
Sinon, dans cette direction, pas âme qui vive au bord de cette voie étroite qui se perdait dans des hectares de prairies. Pas âme qui vive, assurément, mais quand même à deux cents mètres, le cimetière, sinon de quoi le chemin en question aurait-il l’air ?
Ses centaines de colocataires ne se plaindraient pas, aussi, depuis qu’elle avait évacué d’un seul coup d’un seul le contenu de son estomac, le lieutenant Christopher enchaînait les cigarettes à une cadence impressionnante. Pas étonnant du tout qu’elle consumait ses deux paquets par jour, et tous les slogans du monde, les patchs en tous genres et les conseils avisés ne la faisaient même pas sourciller : à vingt-quatre ans, dans sa tête, on est immortel.
- Maeva, n’oublie pas d’emporter tous tes mégots, lui rappela le capitaine, ce bout de jardin fait partie de la scène de crime.
Elle acquiesça d’un signe de tête et s’empressa de se recomposer l’attitude d’un jeune officier de police en pleine possession de ses moyens puisque, déjà, le médecin légiste Dubourg sortait de la cuisine mortuaire et se dirigeait vers eux.
- Alors toubib, demanda le capitaine, en deux mots ?
- Mathilde Baillé, 82 ans paraît-il, à mon avis pas plus de 50kg, a été ligotée sur une chaise droite dans sa cuisine, torturée comme j’ai rarement vu puisque j’ai dénombré au moins dix-huit impacts sur le corps : brûlures, ongles charcutés, électricité…
- Electricité ? Vous êtes sûr ?
- Certain. Je vous dirai avec quel procédé dans le rapport d’autopsie.
- Et finalement le cœur a lâché ?
- Même pas, capitaine, même pas. Et pourtant c’est ce qui aurait pu lui arriver de mieux, pour abréger le calvaire. Mais non, vous l’avez vue, elle est tombée face contre terre les mains attachées derrière le dossier, et elle est certainement morte d’une fracture de l’os frontal. L’importance de la mare de sang, sous le visage, prouve qu’elle était vivante au moment de cette chute fatale. Elle est donc décédée face contre terre, et dans un bain de sang.
Les deux policiers s’étaient encore une fois figés, bien plus atteints qu’ils ne l’avoueraient jamais…



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