Retour en arrière pour ce 3e extrait de Faute de vérité. Vous voici en décembre 1977 dans la boutique de Monsieur Meulenaere, toujours à Quesnoy-sur-Deûle, où le narrateur et flic du polar, Charles Klapa ré-explore une partie inquiétante de son enfance.
Extrait III
Quesnoy-sur-Deûle, mardi 22 décembre 1977
Monsieur Meulenaere aimait bien les enfants. Il n’était pas rare qu’il nous fasse cadeau d’une pochette Panini, d’une sucette ou d’un petit porte-clefs . Il lui arrivait également de vendre à 40 centimes un article qui en valait 50... Mais il ne fallait pas abuser.
– Je vais prendre dix pochettes Panini ! a proclamé Théo en posant son billet de dix francs sur le comptoir.
– Tu as bientôt fini ton album ? a demandé monsieur Meulenaere.
– Il me manque une quinzaine de joueurs de première division et une douzaine en deuxième division.– Tu viendras me le montrer lorsqu’il sera terminé ? Je crois que tu seras mon premier client à en venir à bout cette saison.Nous avions reçu un album Panini vierge en nous inscrivant au club de foot, à la rentrée. Certains ne s’en préoccupaient qu’épisodiquement, mais Théo se faisait un devoir d’acheter les vignettes représentant tous les joueurs de tous les clubs du championnat de France. Son père finançait les acquisitions de son fils en cachette de sa femme qui jugeait ce genre de collection puérile. Je m’étais pris au jeu dans le sillage de mon ami, mais mes moyens étaient plus limités. Lorsque nous avions des autocollants en double, nous les échangions avec d’autres collectionneurs contre les vignettes manquantes, les triples allaient enrichir l’album de Noël.J’ai posé à mon tour une pièce de un franc sur le guichet.– Deux pochettes pour moi s’il vous plaît.Monsieur Meulenaere a fait glisser vers moi trois pochettes jaunes de six vignettes en m’adressant un clin d’œil. Après l’avoir remercié, j’ai rejoint Théo qui arpentait les allées surchargées du coin de la boutique réservé aux jouets.Il avait jeté son dévolu sur un gros camion de pompiers rouge, dont l’échelle montait et descendait automatiquement grâce à une commande placée sur le côté du véhicule. On pouvait également faire avancer le camion en enclenchant une petite manette sur l’avant. Une sirène stridente accompagnait chaque mouvement du jouet.– Il te plaît ? a demandé monsieur Meulenaere. C’est le dernier, je peux te le réserver si ton père s’engage à l’acheter.– C’est pas mon père, répliqua Théo. C’est mon parrain. Il m’a donné carte blanche. Je crois que je vais le prendre.– Il coûte cent cinquante francs, a annoncé le commerçant. Tu devrais peut-être en parler à ton parrain avant ?Théo a hoché la tête sans quitter le camion des yeux.– Il fonctionne avec quatre grosses piles, a repris Meulenaere. Il y en a pour trois francs quatre-vingts. Tu t’en souviendras ou tu veux que je le note ?Un hurlement a soudain résonné dans le magasin, suivi d’un autre, puis d’un troisième.Théo et moi sommes restés figés au milieu des jouets tandis que monsieur Meulenaere avait filé en direction du fond du magasin.La voix du commerçant nous provenait désormais par bribes. Il parlait à voix basse mais semblait essoufflé.– Calme-toi... non ! Reviens ! Là, on va remonter... C’est tout...Des grognements étouffés ponctuaient chaque mot. Nous nous sommes avancés vers la partie librairie afin de voir ce qu’il en était.J’ai passé discrètement la tête entre deux présentoirs chargés de magazines et vu monsieur Meulenaere aux prises avec un homme corpulent qui se débattait mollement. Le commerçant tentait de reconduire l’autre vers l’arrière boutique, mais ne parvenait pas à briser sa lourde résistance. Tout en lui parlant doucement à l’oreille, sans jamais relâcher son étreinte, monsieur Meulenaere est finalement parvenu à calmer le gros bonhomme et à le ramener derrière la porte vitrée. Nos regards se sont croisés juste avant qu’il referme la porte. Ses lunettes étaient tombées, ses cheveux blancs ébouriffés.Monsieur Meulenaere est revenu dans la boutique, quelques minutes plus tard.Il a inscrit consciencieusement le nom de Théo dans un grand cahier qu’il rangeait sous le comptoir, puis griffonné le prix du camion de pompier et des piles sur un bout de papier qu’il a tendu à mon ami sans un mot. Il avait l’air désemparé, presque en colère et s’efforçait de ne pas nous regarder en face.
Bientôt vous en saurez plus sur l'auteur lui-même et sur ses personnages!
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