mercredi 16 octobre 2013

Les éperons maudits - premier extrait

Après Sortie Lens-Est et Requiem pour un toubib, Eric Lefebvre signe Les éperons maudits, troisième enquête de son duo Kabbalevski-Miss Vanpeper !






 EXTRAIT I


     Il soupira bruyamment. Ses nerfs lui jouaient des tours ! S’aidant du faible halo de de sa lampe, il se fit aussi léger qu’une libellule pour essayer de slalomer entre les obstacles, mais après avoir piétiné un sachet de lentilles, il secoua la tête et soupira de nouveau dans l’obscurité : prendre autant de précautions, comme si tout le quartier allait être réveillé, alors qu’il était seul et dans une maison isolée, encore ! Et plus il traînait, plus il risquait de se faire gauler ! Ne cherchant plus à dissimuler ses mouvements, il remonta sans plus attendre le couloir également sens dessus dessous, traversa le hall d’entrée et gagna rapidement le palier du premier étage. Accroupi, la lampe de poche entre les dents, il écarta un cadre démantibulé et commença à explorer la plinthe du bout des doigts. Il étouffa un cri en même temps qu’une douleur vive lui transperçait l’index. À la lueur de sa loupiote, il enleva péniblement une esquille de verre de son doigt et le comprima pour arrêter le saignement. Merde ! Redoublant de prudence, il reprit en tâtonnant le cours de son exploration quand, enfin, il sentit le ressaut attendu. Une petite trappe s’ouvrit à ras du sol. Il y avança la main et tomba tout de suite sur un rouleau de papier assez dense, entouré d’un élastique.

    Sa lampe confirma son impression, des billets ! Et verts encore ! Il en trouva deux autres semblables qu’il rangea prestement dans la poche intérieure de son blouson. C’était tout ? La cache semblait assez profonde, il devait y avoir autre chose. Enfonçant plus avant la main, il l’explora attentivement et… Soudain, il se figea, aussi raide qu’une statue de sel. Le canon froid d’une arme s’enfonça douloureusement dans le creux de sa nuque. Juste sous l’occiput, dans ce petit espace coincé entre les deux faisceaux des trapèzes. Instantanément, il eut des visions d’exécutions sommaires, de tchékistes abattant les ennemis du peuple dans les sous-sols de la Lubianka ou de soldats du Vietcong s’écroulant sous les balles impérialistes. Un frisson atroce secoua tout son être. 

    Terrorisé, il se rendit compte qu’il venait d’uriner sous lui.

    – Retourne-toi, aboya quelqu’un dans l’ombre.
 
    Azoug obtempéra. La violente lumière d’une torche lui inonda le visage et lui fit plisser les yeux. Il ne voyait pas son interlocuteur mais devinait une présence massive de l’autre côté de l’arme. Il n’était pas très calé en flingues, mais reconnut quand même un silencieux. Malgré le froid, il sentit aussitôt des perles de sueur se former à la racine de son front. Ébloui, affolé, il eut cependant la force de bredouiller :
 
    – Que… Que voulez-vous ?
 
   Pour toute réponse, le canon de l’arme oscilla plusieurs fois vers le haut pour lui ordonner de se lever. Il allait s’exécuter quand des bruits précipités parvinrent du rez-de-chaussée. Une voix gutturale retentit :
 
    – Pas Op, Politie !
 
   Azoug vit à l’inclinaison du faisceau lumineux que son agresseur avait légèrement tourné la tête vers le bas. C’était sa chance ! Il se releva brusquement et d’un coup de genou bien appuyé lui explosa l’entrejambe. 

    L’homme poussa un hurlement sauvage et lâcha la torche qui dégringola jusque dans le hall. Il essaya de répliquer au jugé par un coup de poing, mais frappa violemment le mur. Emporté par son élan, il fut un instant déséquilibré. Azoug lui fit un croc-en-jambe et l’envoya valdinguer dans les escaliers. Sans réfléchir, le Marocain gagna à toute vitesse le premier étage et se réfugia dans la salle de bains qu’il verrouilla derrière lui. Mais l’autre était déjà sur ses talons, prêt à enfoncer la porte. Une première secousse ébranla le panneau jusqu’au chambranle, puis une deuxième, encore plus violente, mais tout de suite après, il y eut comme un moment d’hésitation. Et tout s’accéléra : il entendit son agresseur dévaler les escaliers, il perçut encore des cris, les coups contre la porte d’entrée que l’on essayait de forcer, une cavalcade dans le couloir, des objets qu’on renversait, un vacarme qui se propageait le long du rez-de-chaussée, puis la porte arrière de la cuisine claqua violemment.

    Sans plus attendre, Azoug ouvrit la petite fenêtre qui donnait sur l’extérieur et sauta sur le toit du garage. Il se jeta à plat ventre, juste au moment où un deuxième groupe faisait irruption dans le jardin, balayant l’espace avec de puissantes lampes torches.
    
    – Halte, police !, hurla une voix, première sommation !
 
    Il se redressa contre le muret pour risquer un coup d’œil au-dessus du rebord.

     Deux types fuyaient à toutes jambes vers le fond du jardin. L’un des deux se retourna, et brandit un objet vers ses poursuivants. Plusieurs claquements étouffés retentirent presque aussitôt. Les vitres de la serre volèrent en éclats et des impacts de balles crépitèrent sur les murs. Recroquevillé dans sa peur contre la rugosité du béton, Azoug n’osait même plus respirer.
 
    – Ils nous canardent, cria une deuxième voix affolée.
 
    Mais déjà, une voiture démarrait en trombe.
 
   – Ils se barrent vers le Grand Condé. Faut appeler des renforts !, s’écria l’autre policier.
 
    Le véhicule de police démarra à son tour sur les chapeaux de roues, sirène hurlante. Azoug les entendit remonter l’avenue du Grand Condé à toute vitesse et foncer vers la droite, rue de Londres, jusqu’au carrefour de la grande résidence. Il perçut encore longtemps le son bitonal caractéristique puis le decrescendo de la sirène se perdit vers l’est, vers l’A21. Couvert de sueur, le pantalon poisseux et la respiration haletante, il lui était impossible de maîtriser le tremblement convulsif de ses mains.

    Le dos contre le béton, il inspira et expira profondément plusieurs fois avant de commencer à se calmer un peu. 

    Dans quel merdier s’était-il fourré ? Il fallait se barrer et vite !

    Abasourdi, paniqué, il parvint quand même à se faire violence pour se laisser glisser dans le jardin et disparaître dans la nuit.



Bientôt un second extrait 

des éperons maudits!



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire