mercredi 12 septembre 2012

Les Châtiments d'Apophis : deux visages, trois extraits

Les Châtiments d'Apophis, ce sont 2 auteurs, Maryse Cherruel et Patrice Dauthie, et ce seront 3 extraits à découvrir. 

Aujourd'hui...


le prologue
de Lille aux serpents !


Mardi 8 septembre 2009 – 18h30


Monsieur Defives ?
L’homme qui patientait reposa le vieux Gala fripé qu’il avait trouvé sur la table basse du salon d’attente, se leva et se dirigea vers son hôte.
Oui, c’est moi ! Bonjour Monsieur le Député.
Bonjour ! Entrez donc et mettez-vous à l’aise, dit l’élu en posant une main boudinée sur l’épaule de son visiteur.
 Les deux hommes s’engouffrèrent dans un bureau impersonnel ; quelques lithographies banales ornaient des murs revêtus de toile de verre saumon, des plantes vertes poussiéreuses croupissaient dans des bacs remplis de billes argileuses et le député Froissiney, en chemisette, avait une drôle de respiration sifflante.
Alors, vous êtes Monsieur Jean-Michel Defives, c’est bien ça, et vous voulez que j’appuie votre demande pour entrer chez EUROLOG ?, questionna-t-il en s’effondrant dans son fauteuil.
L’autre avait pris place dans un des sièges très bas réservés aux visiteurs. Une fois installé, il était si près du sol qu’il devait redresser la tête pour apercevoir Froissiney, dont la figure joviale et empourprée s’affichait en surplomb de l’éphéméride, du pot à crayons et des quelques accessoires qui jonchaient le plan de travail.
Le coup classique, se dit-il. Ainsi, il couve ses invités de son regard paternaliste.
Il s’avança sur le rebord de sa chaise, et tout en tournant sa casquette entre ses doigts, ainsi qu’il l’avait vu faire par tous les subalternes onctueux de respect, marmonna :
Oui, Monsieur le Député. En fait j’ai toujours travaillé dans l’intérim, surtout comme manœuvre dans le bâtiment. Mais là, avec la crise, il y moins de boulot. Et puis j’ai bientôt 46 ans, je voudrais bien me poser. J’ai entendu dire qu’EUROLOG cherchait des caristes. Ça me plairait bien ça, cariste...
Entre nous, vous ne choisissez pas le bon moment pour vous poser, plaisanta le député, faisant suivre sa boutade d’un curieux rire sibilant de criquet phtisique. Puis il manipula une petite fiche cartonnée sur laquelle étaient griffonnées quelques notes. Avez-vous le certificat d’aptitude nécessaire ?
Ben, c’est-à-dire que... En fait je pensais que l’entreprise pouvait s’en occuper. Je veux dire... je peux apprendre, dit-il, arborant un air nigaud.
Ah ! Ce n’est pas aussi simple. Il aurait mieux valu être déjà titulaire de ce permis. Et vous avez ramené un CV ?, s’enquit Froissiney, en jetant un regard sur le sachet ALDI déposé aux pieds de son requérant. Je n’ai guère d’éléments sur vous, remarqua-t-il.
Le quadragénaire entrouvrit son bagage, symbole ostentatoire de sa condition modeste, farfouilla un peu et annonça d’une voix contrite :
Désolé, mais je n’ai pas pris le bon dossier. Vous savez, moi, les papiers... C’est surtout ma femme qui s’en occupe, précisa-t-il pour se disculper, en jetant un regard désappointé au député.
Je vois, dit ce dernier. Vous auriez pu faire attention. Je crains de ne pas pouvoir faire grand-chose pour vous aujourd’hui et j’ignore si EUROLOG accepte les débutants. Envoyez-moi ce CV, on y verra déjà plus clair. Ma démarche auprès des dirigeants de l’entreprise n’en sera que plus constructive. Vous comprendrez que je ne puisse défendre votre requête sans éléments ; vous m’avez l’air sérieux mais ça ne suffit pas, dit-il en souriant. Si ce n’est déjà fait, laissez vos coordonnées à ma secrétaire en partant ; on vous appellera pour fixer un autre rendez-vous. Cariste, c’est vraiment ce que vous voulez ? Accepteriez-vous un poste moins qualifié ?
En notant le ton contempteur de l’élu, l’homme se félicita d’avoir adopté une attitude soumise et veule. Les énergumènes du même acabit que Froissiney adoraient ça, la servilité.
Oui bien sûr... mais cariste ce serait bien. Mon dos commence à me faire souffrir, alors les postes de manutention... Il fit alors mine de se redresser avec difficulté, et son visage se revêtit d’un rictus de douleur. D’ailleurs en ce moment je suis en traitement pour ça ; oh ! rien de grave mais j’ai un médicament à prendre à cette heure-ci, dit-il. Sans vous commander, vous auriez un verre d’eau Monsieur le Député ?
Froissiney se dit que cet hurluberlu commençait vraiment à lui faire perdre son temps. La porte d’entrée du bureau était restée entrouverte et il entendait le babil téléphonique de sa secrétaire ; il se leva en étouffant un soupir et demanda au visiteur d’attendre un instant. Que ne fallait-il faire pour gagner une voix !
Après que le député fut sorti, l’homme enfila des gants de laine, saisit le petit sac de toile qu’il transportait dans son sachet et contourna le bureau. En une seconde, il fit le tour des possibilités qui s’offraient à lui : le cartable du député sur le sol, une espèce de sacoche médicale en cuir rigide, le tiroir supérieur droit du bureau ou le caisson inférieur. Ce dernier était saturé de dossiers suspendus. Il fit rapidement l’inventaire du cartable, en extirpa gauchement quelques dossiers. Non, ça n’allait pas ; trop encombré pour que l’on puisse y glisser quoi que ce soit. Sans réfléchir, il fit coulisser le premier tiroir du bureau, dans lequel traînaient des mouchoirs en papier et quelques trombones. Parfait. Il y fit tomber le trousseau de clés que le député avait négligemment laissé à la droite de son ordinateur portable puis arracha à ce dernier une clé USB. L’engin, malmené par cette déconnexion à la hussarde, émit un « plop » réprobateur, signifiant que l’opération n’avait pas été menée en toute sécurité, ainsi que l’impose la vulgate de Windows. Enfin il paracheva son œuvre en introduisant son sac de jute fermé par un mince cordon. Tout avait été expédié en une poignée de secondes.
À peine eut-il regagné son siège que le député pénétrait dans la pièce, un gobelet de plastique à la main. Ouf ! Il avait eu le temps d’ôter ses gants en mimant de fourrager dans son piètre bagage.
Voilà. J’espère que ça va aller, dit Froissiney en lui tendant le récipient.
Il se confondit en remerciements, fit mine d’avaler un comprimé de forte taille et posa le gobelet sur le bureau du député. Après les politesses d’usage il quitta ce dernier avec force courbettes.
La secrétaire était toujours au téléphone. Ne demandant pas son reste, il sortit hâtivement de la mairie d’Hauteville-sur-Deûle. C’était fait. Ça pouvait marcher. Avec un peu de chance, ce sale con allait comprendre sa douleur.

 Bientôt un second extrait...



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