dimanche 11 mars 2012

En attendant les vers - premier extrait


Fidèle à ses habitudes, le blog Riffle Noir vous offre des extraits de ses nouveautés.

Dès aujourd'hui: des extraits d'En attendant les vers, le second polar de Michaël Moslonka.

Il s'agit de la seconde aventure de Virgile David Blacke et d'Amélie Laribi, après À minuit, les chiens cessent d'aboyer.


Premier extrait à lire en-dessous de la quatrième de couverture !










 En attendant les vers 

Premier Extrait
Soleil gris

 La voiture familiale a parcouru un peu plus de huit cents kilomètres pour arriver jusqu’ici. Près de dix heures de voyage pour s’arrêter devant l’usine de textile, Auchelaine Dewavrin. À droite de l’Espace vert pomme, les camions d’une société de transport narguent le coup de grisou qui décime l’industrie hexagonale. Enfoncé dans le lointain, le terril de l’ancienne fosse numéro 5.
Est-ce la présence du géant de scories ou bien le décor paraît-il plus terne qu’avant ?
Par la vitre de sa portière, Éric Bastien – quarante et un ans au compteur, bâti comme une armoire rustique – contemple l’usine à l’abandon : les grilles fermées et cadenassées, le panneau bleu qui flèche Peignage d’Auchel, le Stop à moitié couché sur le sol… Et les deux barrières blanche et rouge relevées comme une invitation pour les ouvriers à revenir. La zone commerciale tape-à-l’œil qui longe le boulevard de la Paix démontre que ce ne sera jamais le cas. Une ère nouvelle remplace la servitude prolétaire. Le présent est à la consommation. La production, elle, se passe ailleurs…
L’homme secoue la tête. Il annonce à la cantonade :
    Le pays noir, nous voilà ! Dix minutes d’arrêt !
Dans sa bouche, voilà adopte une tonalité Ch’ti. Une sorte de borborygme semi-inintelligible agrémenté de chapeaux chinois comme pour un repas à thème dans une cantine nordiste : Vôlâ. Chez certains, la langue prend un malin plaisir à faire ressurgir ce que le cerveau a enfoui dans l’inconscient…
Éric Bastien ne se rend compte de rien, trop pressé de sortir pour étirer sa lourde charpente. Huit cents bornes ! De quoi courbaturer le plus solide des gaillards, malgré une pause toutes les deux heures et une halte pour pioncer.
Pleinement réveillées, deux petites têtes blondes s’égaillent hors de la voiture familiale, suivies par une adolescente. Ce sont ses trois filles – Lisette, cinq ans, Élisa, sept ans et Myrtille, quatorze ans –, sa bande de nanas. Elles n’échappent pas à la vigilance d’Élisabeth tirée, elle aussi, du sommeil par son braillement de chef de gare. Élisabeth, leur mère. Son épouse. Sa gonzesse. Une fleur originaire des versants ensoleillés du Val d’Abondance. Jolie et fragile. Un vieux du coin, là-bas dans les Alpes, a prophétisé, le jour de leur mariage : Pas besoin de se tenir les pouces, l’Edelweiss poussera au pied du plus solide des épicéas. Sous son ombre, elle risque rien. Certain ! Le monde actuel est si plein de fous dangereux… 
L’enfant du pays lève le nez vers le ciel. Dans ses souvenirs, celui-ci était d’un gris pluvieux. Aujour-d’hui, en cette fin d’après-midi d’octobre 2010, l’azur rayonne. Des nuages blancs paressent au milieu d’une étendue d’un bleu infini et lumineux. Malgré tout, le décor reste terne à ses yeux, et le soleil, grisâtre.
Quand on a goûté à la clarté des Alpes…, philosophe-t-il.
    Oh, ta montagne, Papounet ! Elle est verte !, l’interrompt Lisette.
Papounet voit enfin la verdure qui remplace les habits de deuil du 5.
Pour arriver jusqu’ici, Éric Bastien a emprunté la rocade minière où veillent les géants nordistes. Immanquables, il a pourtant roulé sans les voir. Une fois à Auchel, il a boudé le numéro 5. Remarquant seulement du coin de l’œil que le numéro 3 – son voisin – avait diminué de plus de sa moitié.
Ses nanas et sa gonzesse, quant à elles, dormaient. Il ne les a pas réveillées. Chaque chose en son temps, a-t-il décidé, saluant en silence l’initiative des autorités locales. Elles rasent les corons pour les remplacer par des habitations aux couleurs vives. Du jaune, du bleu…
Tirer un trait sur le passé s’avère nécessaire si l’on souhaite changer l’avenir que le destin impose. Nécessaire et salutaire.
Même s’il faut parfois revenir – et regarder ! – en arrière pour que ce trait soit définitif…
    Oh, merci papa !, s’enthousiasme Élisa en sautant sur place.
Un peu plus à l’écart, l’aînée lui apparaît distante. Une lueur de reproche luit dans ses prunelles. Serait-ce en rapport avec son prénom ? Il secoue à nouveau la tête. La fatigue du trajet l’entraîne sur une pente savonneuse, elle l’induit en erreur. Myrtille est juste du genre introverti. De plus, elle subit la fatidique crise de l’adolescence. Il ne doit pas s’inquiéter, tout est normal.
Ouais, laisse béton, tout est sous contrôle. Tout baigne, mecton… Tu es pardonné.
    Attendez d’être devant !, lance-t-il alors, avec emphase, avant de montrer l’usine de textile désaffectée. C’est ici que travaillait votre grand-père, il était peigneur et s’occupait d’la laine de mouton venue d’Australie !
Malgré la puissante bonne humeur dont il use, son visage se voile.
Dans la quiétude de son chalet alpin, il ne cause jamais de son enfance à Auchel. Ni de son père, abandonné derrière lui, à seize ans, de la même manière qu’il a abandonné les terrils. Ou presque. Les terrils ne possédaient aucune bagnole à chouraver, son vieux, si. Une quinzaine d’années de mariage sans une parole à ce sujet. Ce n’est pas faute, de la part d’Élisabeth, d’essayer de lui tirer les vers du nez.
Sa gonzesse l’interroge toujours au lit alors qu’elle est sur le point de s’envoler pour le royaume des rêves.
Un sourire de pure tendresse étire les lèvres d’Éric Bastien. Il visualise sa jolie fleur, la joue fraîche collée contre son torse tandis qu’il lui caresse les cheveux avant de descendre sa large paluche vers le bas des reins, à cet endroit où un minuscule grain de beauté vaut tous les tatouages aphrodisiaques du monde. Et, indubitablement, elle lui demande :
    Tu me racontes, dis ?
    Pas ce soir, lui répond-il.
    Quand, alors ?
    Un jour, tu verras… Promis…
Hier, il a fait mieux que tenir sa promesse. Une fois les filles récupérées à la sortie de l’école, à leur grande surprise, il a quitté les montagnes pour l’Autoroute Blanche. Un voyage vaut mieux que de longs discours, s’est-il justifié, franchissant le péage en direction de Paris. À l’arrière, Lisette et Élisa, rayonnantes, ont applaudi. Myrtille s’est autorisé un sourire. Quant à Élisabeth…
Il se tourne vers sa belle montagnarde.
Elle a enlacé Myrtille et contemple les environs. Il capte son regard. Elle lui sourit, irradiant de plaisir. Leur aînée d’adolescente lève les yeux au ciel, agacée par la mièvrerie sentimentale de ses parents. Éric adresse un clin d’œil à sa femme. Le sourire d’Élisabeth s’élargit un peu plus. 
Les cris d’Élisa interrompent leur complicité silencieuse.
La petite fille accourt vers son Papounet. Elle lui saute au cou en riant aux éclats. Papounet l’attrape dans ses bras.
    Élisa, Élisa, se met-il à chanter, Élisa, saute-moi au cou, Élisa, Élisa…
  Cherche-moi des poux !, complète la fillette, euphorique, tout en piochant des bêtes invisibles dans les cheveux paternels.
    Justement ! Ça m’démange de t’chercher des poux, mon con !
 à suivre, un second extrait...



En attendant les vers 
sera disponible chez votre libraire début avril!

Les éditions du Riffle vous offre la possibilité de l'avoir en avant-première pour une livraison autour du 20 mars.

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